« Tu m'avais dit avant que je parte que ce séjour serait inoubliable. Je doutais. Mais au final, il s'avère que tu avais raison : je n'oublierai jamais New-York. Je n'y repartirai peut-être même jamais. »Il n'avait rien à faire, plus rien à faire à part écrire des lettres qui finissaient au final dans la poubelle d'où s'élevait un feu. Søren l'avait allumé plus tôt dans la soirée, ayant eu assez de chance pour dénicher de quoi faire partir le feu et ayant trouvé plusieurs blocs de papiers inutilisés. Depuis que le soleil s'était couché, Søren était assis près de la poubelle d'où émanait une chaleur réconfortante et rassurante et il écrivait, sachant pertinemment que gratter du papier ne lui servait qu'à rester réveillé. De toute façon, comment ferait-il pour l'envoyer ? Et le plus important, y'avait-il quelqu'un, outre-Atlantique, qui était encore vivant pour le lire ? Où était sa mère ? Son père ? Son petit frère ? Toute sa famille était restée à Copenhague lorsque Søren était parti faire ses études d'histoire de l'art à Columbia. La vague de froid n'avait sûrement pas épargné l'Europe ; le Danemark, ce petit pays au bord de la mer, était sûrement submergé. Les chances que sa famille soit encore en vie étaient donc infimes. Leurs corps, comme ceux de millions de personne ici à New-York, reposaient à coup sûr sous les glaces qui avaient envahi le Nord.
« Tu m'avais dit avant que je parte que ce séjour serait inoubliable. Je doutais. Mais au final, il s'avère que tu avais raison : je n'oublierai jamais New-York. Je n'y repartirai peut-être même jamais. »Toujours les mêmes mots. Il y a dix jours, Søren se trouvait encore au Danemark, dans le terminal B du
Kobenhavns Lufthavne, l'aéroport de Copenhague. Il n'y avait que sa mère pour lui dire au revoir, son frère étant au lycée et son père au travail. Søren stressait, non pas parce qu'il avait peur de l'avion, le vol qu'il allait prendre serait son premier, mais parce qu'il se sentait mal à l'aise de laisser sa famille derrière lui. Il s'inquiétait pour eux. Sa mère lui avait dit d'arrêter de s'occuper toujours des autres et de s'occuper pour une fois de lui-même et rien que de lui-même, de partir de l'avant, de ne pas regarder en arrière et de profiter de l'incroyable opportunité qui s'offrait à lui.
Jeg elsker dig, mon fils. Prends soin de toi et ne t'inquiètes pas pour nous, que veux-tu qu'il nous arrive ? Encore une fois, Søren s'était dit que sa mère avait raison :
que pouvait-il se passer au Danemark ? Rien, bien sûr.
Bien sûr.
Sa mère avait toujours raison. Il ne s'était pas senti en confiance pour s'inscrire à la
Columbia University's School of the Arts, pensant qu'il n'avait pas le profil recherché, mais finalement, il avait été accepté. Pendant une seconde, il ne s'était jamais senti aussi heureux. Accepté dans une si grande université, connue à travers le monde. Lui, un simple Danois qui allait quitter son paradis scandinave pour la jungle new-yorkaise. Mais de ce moment d'allégresse avait succédé une peur qui lui avait rongé les os. Peur de se retrouver seul dans une ville quinze fois plus grande que la capitale danoise, peur de ne pas se plaire, peur de ne pas réussir. Mais la crainte qui l'avait consumé avant et après son arrivée se portait vers sa famille. Pendant vingt-deux ans de sa vie, il avait vécu à l'intérieur d'une famille solidaire, entouré de sa mère (dont le seul défaut fut peut-être d'être trop protectrice), de son père (qui avait porté sur Søren des espérances peut-être trop élevées) et de son frère, dont il chérissait tous les membres. A 22 ans, vivre encore chez ses parents peut sembler choquant, quoi que ce phénomène se répand de plus en plus. Mais cette proximité était une nécessité pour Søren. C'est pourquoi quitter Copenhague, quitter sa famille était comme déchirer une seconde fois le cordon ombilicale, ce lien d'affinité et de protection, ce lien rassurant. Il avait peur.
Et c'était normal.
Søren a toujours été quelqu'un qui doute profondément de lui, bien qu'il soit tout à fait capable de réussir tous les objectifs qu'il se fixe. C'est sa nature : il n'a pas confiance en lui, alors qu'il sait qu'il peut réussir. Il n'aime pas le regard des autres se posant sur lui, alors qu'il aime qu'on le remarque. C'est un être paradoxal qui a toujours vécu de cette façon. Il n'est ni quelqu'un doté d'une fausse modestie ou quelqu'un de narcissique, il est seulement un jeune homme qui, vivant dans l'atmosphère aseptisée danoise, avait besoin
de plus que ce qu'on lui offrait ici. C'était un être frêle capable d'une rigidité extraordinaire, quelqu'un de froid à l'extérieur, avec son visage typiquement scandinave qui rajoute quelque chose de mystique à cette froideur, alors qu'il est capable de se montrer chaleureux et généreux.
Søren sursauta. Il ne fallait pas dormir, il ne fallait pas dormir, pas encore. Il avait toujours peur de ne plus se réveiller. Le froid pourrait l'emporter facilement, même s'il avait plusieurs couches de vêtements qu'il avait pris ci et là. Ce n'était pas du vol, c'était une question de survie : à quoi sert des vêtements aux morts ? A rien. Pendant une fraction de seconde, il ne savait plus où il était. Pendant son bref état de somnolence, peut-être avait-il rêvé à sa vie à Copenhague. Il se rappela ensuite qu'il était dans le hall de l'hôtel où il avait loué une chambre avant la catastrophe, en attendant de trouver un appartement qui lui couterait moins cher. Il avait eu tellement de mal qu'il s'était retrouvé dans cet hôtel.
« De havde sagt til mig før jeg forlader dette ophold ville uforglemmelige. Jeg var i tvivl. Men til den endelige, er det sådan, at de havde grund: jeg aldrig ville kunne glemme New-York. Jeg kan ikke forlade byen kan endog være nogensinde. »det er få kolde.
Comme toute chose que l'on désire, une fois que nous l'avons en possession, nous commençons à en voir les défauts. La mère de Søren était née à New-York, où elle avait vécu plus de vingt années de sa vie avant de partir pour l'Europe où elle avait rencontré Per, le père de Søren. Elle avait toujours utilisé des adjectifs tous plus mélioratifs que les autres pour parler de sa ville natale. A la fin, Søren idéalisait New-York, comme des millions d'adolescents à travers le monde. Peut-être avait-elle dit cela parce que New-York lui manquait ? Car pour Søren, New-York n'avait d'exceptionnelle que la taille et la
Frihedsgudinden, cette statue si célèbre. Bien sûr, il avait été stupéfait de la hauteur des tours : il n'y avait rien d'aussi haut au Danemark. Il était resté bouche bée au milieu de Times Square.
Min Gud, avait-il dit. Mais au final, New-York n'était rien d'autre qu'une ville polluée et surpeuplée. Les seuls lieux où il se plaisait, c'était le
Metropolitan Museum of Art, la
New York Public Library, le quartier de
Broadway et ses théatres ainsi que
Central Park. Ce sont les quatre lieux où il s'est rendu les deux premiers jours après son arrivée à New-York. Le troisième, il s'était retrouvé coincé dans sa chambre d'hôtel. La veille, il s'était exclamé
det er få kolde. Il commence à faire froid.
vi forbereder os på at flytte.
Søren n'en pouvait plus de rester cloitré dans cet hôtel et comme tous les autres ici, l'idée de se diriger vers le Sud l'intéressait. Il n'allait pas moisir ici, de toute façon. La seule chose qu'il voulait, c'était être le plus loin possible de New-York.
Den mest vidt muligt af New-York. Jeg forbereder at flytte. Je me prépare à bouger, le plus loin possible de cette ville.