Biographie ; Je suis née a Allentown, en Pennsylvanie, une froide journée de décembre, le 3 à 21h16 exactement. J'ai souvent regardé mon carnet de santé, à la recherche d'une indication de ma vie "d'avant", comme je l'appelais. J'ai appris plus tard que mes parents étaient des chirurgiens de renommée, talentueux et donc très demandés. Nous vivions dans une grande belle maison près de la côte, avec une gouvernante qui nous faisait les cours comme elle pouvait, et fut notre substitut de maman pendant bien longtemps. Nos géniteurs avaient peu de temps pour s'occuper de trois petites filles de bas âge. De toute manière, ils n'eurent pas le temps d'avoir des remords... Un des rares voyages que nous fîmes en famille se termina par un accident. Notre voiture percuta un camion, nous ne sûmes jamais comment. J'avais alors 8 ans depuis peu, et le choc que me causa la mort de mes parents -même si je ne les avais pas beaucoup vus- me fit tout oublier. "Amnésie post-traumatique", aurait dit mon père. Je ne retrouvai jamais la mémoire, commençant ma vie à ce réveil à la clinique privée d'Allentown, aux côtés de mes sœurs. Everleigh, ma petite sœur, avait alors 6 ans, et n'avait strictement rien oublié de notre vie d'avant. Je perdis mes souvenirs, et elle la parole. Elle ne parla pas tout le temps que prit la démarche de nous faire prendre en charge par l'orphelinat, et très peu dans les familles d'accueil dans lesquelles nous fûmes placées. Seule mon aînée resta semblable à elle-même, s'efforçant de faire bonne figure pour que nous soyons acceptées dans des familles. Elle veillait sur nous, se faisait un devoir de nous servir de mère. Mais Kate n'avait que 9 ans, et avait souvent des moments de dépression qui inquiétaient les adultes.
Jeunes, nous étions blondes et craquantes, et nous étions adoptées assez facilement. Mais nos caractères difficiles ressortaient bien vite, et nous étions rapidement décrétées invivables par les familles, qui se débarrassaient alors de nous. Leur bonté avait des limites, et la plupart du temps, ce n'était qu'une façade, un masque de bienveillance uniquement pour impressionner les voisins.

Cependant, nous tombâmes sur la bonne l'année de mes 12 ans. La famille vivait à New York, et était formée d'un couple quinquagénaire fort sympathique quoi qu'un peu nian-nian. J'étais également persuadée que leur mariage était foutu depuis bien longtemps, mais qu'ils étaient trop à l'aise dans leur vie pour se soucier d'un amour mort. C'était triste et cela avait de quoi me désillusionner sur la force de l'amour, mais au moins, ils nous portaient deux fois plus d'attention, tentaient même de nous redresser et de nous apprendre les bonnes manières. Car c'est bien simple, nous n'étions pas éduquées, et l'accident nous avait un peu détraquées. Evy était toujours aussi peu loquace, même si, en présence du couple, elle parlait un peu plus, presque autant qu'à moi. Je n'avais toujours rien su des circonstances dans lesquelles j'avais perdu la mémoire, et ne souhaitais tout simplement pas les connaitre. Oublier était sans doute ce qu'il m'était arrivé de mieux, j'avais de la chance dans mon malheur. Je m'étais forgé un caractère d'acier, un vrai petit monstre à la figure d'ange. Je vivais ma vie le plus témérairement possible, profitant de chaque instant passé avec le sourire et la bonne humeur. Les sœurs Gaslow étaient mignonnes, mais décidément très bizarres. Ma petite sœur était celle que l'on évitait et celle qui évitait les autres, j'étais la petite rebelle qui ne faisait rien de ce que l'on attendait d'elle, et mon aînée la bonne élève toujours d'humeur égale. J'étais un véritable cancre à l'école. J'étais intelligente, mais j'aimais mieux parler et faire le pitre que d'exploiter ma matière grise. Je me fis virer de mon collège, deux mois avant mon entrée au lycée. Je ne fis pas l'effort d'y retourner, et entrai au lycée uniquement pour voir du neuf et rencontrer du monde. Je fis mon entrée fracassante dans la cour des grands. Ces années furent les plus débauchées de ma courte vie. Je sortais beaucoup, buvait, rentrais souvent complètement déchirée de mes soirées, couchais tant que je pouvais et oubliais souvent mes nuits folles, collectionnait les petits copains qui se jetaient tous à mes pieds, et faisais les pire conneries possibles et imaginables. Je passai même par la case prison, un court moment. Mes parents et ma sœur ainée étaient désespérés, mais j'étais inchangeable. Cependant, malgré les apparences, je développais rapidement un grand manque de confiance en moi, et un mal être profond du à la mort de mes parents. Car même si je n'avais aucun souvenir, rien à quoi m'accrocher, le fait était que j'étais quasi seule au monde, et ce dès ma huitième année. Je faisais la petite dure, vivais une véritable vie de débauche, mais j'avais tout de même de la douceur, du romantisme, de l'espoir qui persistaient en moi.

J'abandonnai bien vite le lycée. A 16 ans, je quittais le chemin des cours et mes sœurs par la même occasion, et me lançai dans la seule voie que m'offrait la vie: le mannequinat. J'étais mignonne, et fine à force de soirée alcoolisée ou j'avais du rendre tout ce liquide rejeté par mon corps. Je pensais avoir trouvé un travail, quelque chose en quoi j'étais douée. Ma vivacité rendait bien sur les photos, et j'étais plutôt satisfaite de moi-même. Si j'avais su que ce boulot me sauverai en même temps la vie, et de la vie !

Ce que vous faisiez quelques heures avant le déluge ; C'est là que je compris que mon métier était une bénédiction. Quelques heures avant le déluge, un petit groupe de mannequin dont je faisais partie fut emmené dans un luxueux hôtel du centre de la ville. Un endroit qui coutait cher, tout en moquette de cinq centimètre d'épaisseur et de room-service. Bref, rien ne laissait à désirer. J'étais aux anges, je m'amusais comme une petite folle. J'avais rencontré quelques personnes avec qui je m'entendais très bien, et nous passâmes la plupart du temps à faire les fous. C'est cette fameuse journée, pendant une pause entre deux séances photos, que nous montâmes sur le toit en robes et costards à poils et à plumes. Nous vîmes de là-haut le spectacle de la vague qui s'abattait sur la ville et engloutissait tout par le même temps. C'est là que je réalisai que si j'étais en vie, ce n'était pas forcément le cas de mes deux soeurs. L'horreur de ma situation m'envahit alors, et j'eus envie de perdre une seconde fois la mémoire.